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Crónica, reportaje y sátira experimental / géopolitique géopoétique de l'Europe Krio
Approches Critiques de l'histoire de l'UE - IHECS Alumni

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Ska-P en Allemagne 2013: "Por nuestros hermanos griegos, ¡Resistencia!" (Hypothèse 1)

C'est la musique prolétaire
qui fait l'Europe, pas les Junkers

Andrés Pérez
Paris, janvier 2015

Nous sommes l'été 2013, en plein dans les dégâts de la crise de la dette souveraine euro, et après les dégâts sociaux déjà énormes de la crise bancaire causée par les subprimes. Des centaines de milliers de jeunes espagnols, italiens, grecs et portugais, tous au chômage, se voient obligés de migrer notamment vers l'Allemagne et le Royaume Uni. Des pays où ils sont abandonnés à leur sort, comme des lumpenprolétaires, car ils sont privés de ces droits sociaux européens pourtant longuement promis depuis la présidence Delors.

2013: Tout était arrogance dans les hautes sphères des dirigeants de l'UE, allemands en tête. Ils prétendaient être l'héroïque troupe ayant sauvé le monde du chaos. La rigueur budgétaire, donc, était à durcir encore. L'austérité était la seule voie possible. Maintenir en l'état le système financier privé, avec sa liberté, son omnipuissance, ses dividendes et ses bonus, était un impératif catégorique. Nous étions tous, nous le 99%, devenus des à-valoir vivants de la finance privée.

Aujourd'hui, en ce début de 2015, on observe plusieurs glissements par rapport à cette situation de 2013:

- Alors que les dirigeants européens continuent basiquement à appliquer, en coulisses, la même politique d'austérité, de non-relance et de destruction des droits sociaux européens, ces mêmes élites se voient néanmoins obligées constamment, face à la gallérie, de maquiller leur inaction par des annonces répétées (et répétitives) de soi-disant "pactes de croissance", de "relance", "plans pour l'emploi des jeunes", ou des soi-disant "Plans Junkers".

- Malgré cette logorrhée et cette politique-spectacle d'apparence européiste, les forces belliqueuses, anti-européennes, xénophobes et réactionnaires de nouveau type (UKIP, Clan Le Pen, Aube Dorée, Ligue du Nord, N-VA, etc ...) gagnent du terrain, drainent de plus en plus le vote des classes modestes traditionalistes, et mordent ainsi sur les conservateurs modérés classiques.

- En parallèle, un espoir politique alter-européiste de progrès est en train d'éclore très fortement dans les deux pôles de l'UE ouverts vers le Sud Global et vers les cultures non-européennes: L'Espagne et la Grèce. Pour la première fois dans l'Histoire, une formation alter-européiste est déjà la première force politique dans un des États membres: Syriza et KKE --des forces qui termineront par s'entendre, car leurs bases les poussent-- réunissent le tiers de l'électorat aux européennes de 2014, et les sondages donnent Syriza gagnante aux législatives de janvier 2015. En Espagne, aux européennes de 2014, l'irruption très puissante d'une nouvelle force de progrès (Podemos), qui vient s'ajouter à Izquierda Unida, aussi en croissance, a complètement changé la donne à gauche, et obligé le parti socialiste traditionnel (PSOE) à se démarquer de ses parrains traditionnels (les socialistes français et allemands, euro-orthodoxes). Par ailleurs, d'autres pays amorcent la même tendance (Portugal), ainsi que, en plein coeur de l'Allemagne, un Länder (Thüringen).

- Plus important encore: Les mouvements sociaux se renforcent un peu partout dans la zone euro. Des grèves générales en Belgique obtiennent un soutien massif, et ce notamment pour défendre, entre d'autres, un droit social concret, l'échelle mobile de salaires, qui résiste dans ce petit pays, alors qu'il avait été démoli un peu partout en Europe, notamment sous pression de la pensée euro-orthodoxe (et de son interprétation sur les causes de l'inflation).

- Face à cette forte poussée des forces de progrès, capables de couper l'herbe sous les pieds au néofascisme, et qui entreprennent la transformation politique de l'UE vers une sortie de l'austericide et du tout-concurrence, la réaction des élites traditionnelles, qui craignent de perdre leurs fauteuils, est violente. Le Gouvernement allemand, représentant ses grandes banques privées, insinue via des fuites intéressées à la presse que, désormais, oui, il pourrait être bon de forcer les grecs à sortir de la zone euro. Jean-Claude Junker, récemment élu, outrepasse son rôle de président de la Commission, et se permet de dicter aux grecs ce qu'ils devraient voter ou ne pas voter fin janvier. Pourtant, l'Homme des Lux Leaks (dont le nom figurait déjà en 2002 dans un très officiel rapport parlementaire français sur la "délinquance financière et le blanchiment de capitaux"), aurait pu, côté baiser grec, plutôt se regarder le nombril: Dans les Lux Leaks figurent les noms de trois oligarques grecs, ayant escroqué l'intérêt public européen et le fisc de leur pays, dont au moins un est un très intime ami de la Commission de Bruxelles. C'est peut-être à ces oligarques qu'un président de la Commission, en charge donc de la défense de l'intérêt public européen, devrait dicter des obligations, n'est-ce pas?.

C'est pourquoi nous formulons l'hypothèse numéro 1: Nous entrons dans une époque où le jeune prolétariat européen va tenir tête à une nouvelle génération de Junkers, différente mais semblable à celle du XIXème et début du XXème siècles. Et, dans ce choc, ce sont les jeunes prolétaires qui porteront l'idéal européiste et le projet de futur, face à des élites de plus en plus condamnées à une politique-spectacle-leurre, et face à des oligarques dominateurs et voraces, d'autant plus dangereux qu'ils seront sur la défensive dans le combat idéologique.

Grâce à l'aimable autorisation de DasDing.tv.de et de Edu Pérez (manager du groupe), ainsi que grâce à l'honneur que nous fait Pulpul, le chanteur et compositeur de Ska-P, nous diffusons donc ici un document d'une immense valeur, tant historique que artistique, dans cette perspective de l'hypothèse 1. Il s'agit d'un concert particulièrement inspiré de Ska-P, que la mythique bande aujourd'hui en "gros arrêt indéfini" a donné l'été 2013, au SouthSide Festival, dans le sud de l'Allemagne.

Nous le jugeons précurseur et symbole de la nouvelle donne politique européenne.

Tout est à analyser dans ce document, à commencer par un premier paradoxe: Comment est-il possible que le ska (dont les origines se confondent avec les luttes antiracistes du XXème siècle en Jamaïque et en Grande Bretagne) soit si populaire chez la jeunesse prolétaire européenne, et si peu reconnu dans les média officialistes européens, du type France Inter, rtbf, Arte ou ZDF? Normal que des grands médias privés capitalistiques boudent le groupe dont une des chansons-phare clame "Sí señor, sí señor / Somos la Revolución / Tu enemigo es el patrón". Mais.... des services publics audiovisuels ont-ils le droit de décider de censurer certains arts, et de favoriser d'autres, y inclus dans les styles qui forment la jeunesse?

Deuxième paradoxe: On écoute émerger de la foule énormément de voix connaissant d'avance rimes et rythmes, et prononçant les paroles. Or, on est en été 2013. Très peu de jeunes espagnols peuvent se payer un voyage au Sud de l'Allemagne en plein été rien que pour un concert d'une bande qu'ils peuvent voir près de la maison, ou près de la plage. Très très peu, et probablement pas de la classe "orgulloso de ser del proletariado". Donc, les quelques milliers de gorges espagnoles qui chantent et crient et que l'on entend, sont... d'où? Pourquoi, comment sont-elles là?

Troisième paradoxe: La troupe, qui bosse sur scène, est plutôt de mon âge, la quarantaine ou la cinquantaine. Par contre, ceux qui s'éclatent et dansent, y inclus avec quelques explosions de bon pogo (assez modéré, certes), sont plutôt jeunes, voire adolescents. Or, pour les élites qui ont façonné l'UE depuis une vingtaine d'années --véritablement façonné, via médias et système scolaire--, des genre musicaux comme le Ska Punk, et des paroles comme celles de Ska-P ("somos la revolución", "tu enemigo es el patrón", "orgulloso de ser del proletariado", "empieza a amanecer en Latinoamérica/Adelante Comandante", "Un pueblo que se sabe organizar, es un pueblo sabio y libre", etc) appartiennent au passé et devraient déjà être disparues depuis longtemps. Comment la transmission s'est faite? Un transfert générationnel si puissant, fait à l'encontre de la pensée dominante unique, marque-t-elle une rupture à venir entre le peuple et les élites de l'UE?

Quatrième paradoxe: Plusieurs chansons du groupe ont été écrites il y a quinze, vingt ans. C'est le cas, notamment, de "Casposos", qui ouvre le concert (de 00'00" à 06'36"). Or Casposos c'est une chanson initialement destinée à alerter les espagnols de classe populaire sur un danger très local et très daté, une arnaque massive qui s'est produite alors, il y a deux décennies, fruit du croisement des croyances traditionnelles et des technologies payantes modernes: une plaie de médiums, voyants, magiciens, guérisseurs etc ont commencé à sévir via des services payants à la télé ou via la téléphonie. Sans le moindre problème, le groupe a adapté les paroles pour appliquer Casposos à ces autres magiciens qui affirment détenir une parole divine: Angela Merkel et La Troika. Quel fondement théorique a la bande pour faire ce rapprochement? Pouvez-vous trouver des auteurs et universitaires autorisés ayant fait cette démonstration sur les croyances dogmatiques des tenants de l'orientation actuelle de l'UE (libre-échange total sans tarif douanier extérieur, préservation de la création monétaire privée et des intérêts de la banque, destruction du modèle social européen, orthodoxie budgétaire et austérité), qui les rapprocheraient plus des ayatollahs que des économistes.

Cinquième paradoxe: Une bonne partie des phrasés, slogans et refrains du groupe seraient sans doute jugés "europhobes" ou "eurosceptiques" par le discours classique euro-orthodoxe. Or les jeunes allemands adorent la bande qui, à son tour, semble adorer jouer pour ces jeunes allemands. D'ailleurs, dès qu'ils peuvent et en demandant pardon ("i don't speak german... ¡me cago en la leche: somos de barrio!") ils s'expriment en anglais, quelques mots en allemand... Au cas où le message internationaliste pouvait échapper à quelqu'un, toute la section cuivres de la bande, bien que venant des quartiers populaires de plusieurs villes espagnoles, porte le kilt écossais (parait-il, c'est une tradition initiée par le Ska jamaïcain des origines, dans les années 1950). En quoi le message de la bande pourrait-il être europhobe ou eurosceptique? N'est-il pas, plutôt, au coeur de l'Europe?


Pour ceux qui seraient intéressés par l'analyse proposée, sont à écouter.

Casposos ( de 00'00" à 06'36" )
Paroles sur http://www.musica.com/letras.asp?letra=20140
traduisibles, par exemple via google translate
(A répérer le moment auquel Pulpul ajoute:
"fuck off Angela Merkel, fuck off La Troika"
et à évaluer la pertinence par rapport au reste du texte

Se Acabó ( de 06'36" à 11'51" )
http://www.musica.com/letras.asp?letra=2120890
(Auxquels Pulpul ajoute: "Ahora no hay miedo en Turquía,
ahora no hay miedo en Brasil"
. A répérer la pertinence de
donner, à des jeunes de l'UE, des exemples venant de pays
autrefois jugés "en voie de développement", voire
non démocratiques )

El Libertador (de 26'35" à 31'22")
http://www.musica.com/letras.asp?letra=1403078
(A relever la phrase "una guerra de medios manipula
la verdad"
, et l'éloge de la démarche bolivarienne
de plusieurs pays latino-américains. En quoi cela
concerne l'Europe? Et, plus largement: Relier au
succès de Ska-P au Mexique)


Somos la Revolución, El Valls del Obrero ( de 37'35" a 43'12")
http://www.musica.com/letras.asp?letra=32443
(Auxquels Pulpul ajoute:
"Por nuestros hermanos griegos/
por los portugueses/
por los españoles/
¡Resistencia!/
¡Desobediencia!/
¡Resiste hermano!/
¡El pueblo, unido!"



Et... Que diable! Profitez du concert! (Pour découvrir une autre culture, ou pour danser. Et, si vous avez un bon son à la maison, branchez-le; Celui de l'enregistrement d'origine est de très bonne qualité).

Et comme crient les musiciens à la fin du spectacle,

"¡Salud, libertad, y viva la madre que os parió!"


*Avertissement: Un des morceaux dans le reste du concert, de scénographie très explicite, pourrait être interprété malencontreusement comme un éloge de la violence sexuelle machiste. Ce n'est absolument pas le cas, Ska-P étant connu depuis des décennies par son antisexisme frontal et sa défense de la liberté sexuelle de tous. Il faut donc l'interpréter comme ce qu'il est: Il s'agit d'un double-sens, et de l'humour noir, sur les curés.

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CC OJALÁ,Sancho Panza Lab / CAPE SanchoPanza/Perspectives 2013-2014

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