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Grand Tunis, paysages d'une révolution sur le point de rebondir
La Manouba: rencontre avec
des étudiants contestataires -3-

Nous partons à l'Université de La Manouba surtout pour rencontrer le directeur de l'Institut de Presse et de Sciences de l'Information, Taoufik Yacoub, qui nous accueille chaleureusement et nous offre des récentes publications, très axées sur la nouvelle donne quant à liberté de presse en Tunisie. Cet homme intelligent et pragmatique nous explique, avec nuance et fierté à la fois, comment depuis la Révolution des grands média internationaux du Mainstream se ruent vers sa fac, afin de signer des accords de coopération.

Ses collaborateurs nous montrent, en effet, les nouveaux studios et nouvel équipement informatique de post-prod télé, audio ou web financés via ces accords. Pas mal.

Ce que ne remarquent pas, pour l'instant, ces dirigeants de fac, c'est que ce faisant, les média et institutions nord-américains ou allemands sont en train de spécialiser les étudiants de La Manouba vers le secteur, déjà très bouché, des petites mains techniques du web, de l'audiovisuel et de la radio. Même, des fois, ils les spécialisent tout simplement vers le métier de "fixer". Et, par contre, ces institutions éloignent ces mêmes étudiants des métiers "du contenu", du reportage, de la chronique et de la correspondance diplomatique. Domaines où, pourtant, les tunisiens, de par leur histoire et leur niveau d'éducation, devraient avoir un rôle euro-méditerranéen et panafricain de premier plan à jouer.

De continuer sur ce chemin, donc, la lumière des projecteurs, le prestige des signatures, et surtout l'influence et la production d'idéologie, seront pour les journalistes-stars du Nord, comme d'hab. Le travail de soute (lorsqu'il il y en a), pour les jeunes diplômes tunisiens, qui devront ainsi entrer en concurrence avec ses collègues espagnols, italiens, grecs, portugais, etc...

Ce n'est sans doute pas dans ce but que les révolutionnaires tunisiens ont secoué, il y a trois ans, l'ordre établi!


*Nous l'avons fait/ l'Autre le raconte

A l'entrée de l'Institut de Presse et de Sciences de l'Information, ce qui attire notre attention ce sont surtout ces affiches, aux couleurs rongés par le soleil et les éléments, tous à la gloire de la Révolution mais déjà à l'abandon.

Personne ne les a arrachés, mais personne les maintient en beauté, à l'honneur.

Ce qui frappe, aussi, c'est que, en fait, ce sont des tirages de photos qui ont fait le tour du monde, des photos faites donc par des agences de presse mondiales, par des professionnels de la photo.

Curieux. Les étudiants d'une fac de journalisme, tout à côté d'une révolution, et ayant peut-être participé un peu ou beaucoup à celle-ci, ont éprouvé surtout le désir d'afficher, non pas leur propre production sur une révolution qu'ils avaient sous les yeux, mais celle qui avait été répercutée par le Mainstream mondial, sur eux mais sans eux.

Après les entretiens, nous partons. Un détour par la Fac de Lettres, cela vaut le coup, d'autant plus que cette Université rappelle, de beaucoup de points de vue, celle que j'ai fréquenté 30 ans auparavant. Même effervescence, même ambiance de locaux flambant neufs, aux murs dégarnis, au milieu d'un campus méditerranéen dont les espaces ouverts incluent quelques terrain-vagues, le tout dans une banlieue populaire.

En arrivant à la Fac de Lettres, des cris de manifestation, de revendications, au milieu des oiseaux


Environ 30"

Un groupe d'étudiants nous explique, d'une manière un peu approximative, qu'il s'agit d'une manifestation en soutien à un des leaders de l'Union Générale Tunisienne des Étudiants (UGTE). Comme l'expression en français de ce groupe était assez limitée, ils sont rapidement partis en nous promettant de trouver une camarade qui s'exprimait parfaitement. Mais, entre temps, nous avions compris déjà une chose: "UGTE"; Nous étions donc au bon milieu d'une manifestation du mouvement jugé "islamiste", et même "cache d'armes", mouvement autrefois interdit par le régime du dictateur Ben Ali.

En attendant la militante francophone parfaite, nous avons compris aussi trois autres choses: -1- Dans le groupe assez nombreux, quelques uns, barbus et d'aspect pouvant être rigoriste, nous regardaient avec méfiance, probablement du simple fait d'avoir été jugés "journalistes" et/ou "occidentaux"; -2- Aucune menace ou intimidation n'était proférée contre nous; et -3- L'étudiant qui était parti initialement chercher sa camarade francophone, montait en fait sur une chaise, et démarrait un discours... Partiellement en langue germanique! (Voilà la raison pour laquelle il n'était qu'un peu francophone).


Environ 7'

Un discours dont, bien entendu, nous ne comprenons absolument rien. Mais qui sert à voir comment ce groupe contestataire, qui brigue la place de numéro un dans la représentation des étudiants dans les instances universitaires, est déjà globalisé, et tient à utiliser les langues étrangères, à côté de l'arabe, dans le campus même. Une deuxième information: Le jeune leader germanophone est bien entrainé à la rhétorique des assemblées et de l'agit-prop universitaire. Pour prononcer son discours, il monte sur une chaise, et appuie tantôt une main, tantôt les deux, sur le sommet du crâne d'un camarade qui se tient debout, bien droit, devant lui. C'est un costaud, celui-la. Le gros bras?

Arrive notre leaderesse francophone de l'UGTE. La petite bureaucratie improvisée des étudiants militants a bien fonctionné. Explications du pourquoi, des tenants, et des aboutissants, de cette manif passionnée et passionnante. Plongeon implicite aussi dans le regard que ces étudiants jugés "islamistes" portent sur ceux qui les accusent "d'islamistes". Ceux qui les accusent et qui sont, donc, susceptibles d'approuver le moment venu des entraves à leur liberté, à la liberté de tous.

Entretien avec une leaderesse étudiante de la mouvance proche de Ehnnadha
Environ 25'
[L'image n'est pas celle de la
militante interviewée, celle-ci
ayant réfusé d'être photographiée]


Nous quittons le campus de La Manouba.

Dans le tram, en cet après-midi de printemps, beaucoup de jeunes couples. Certaines filles sont voilées, d'autres pas. Un jeune homme beau et taillé dans le marbre, à l'allure fortement empreinte de street-wear, enlace sa compagne. Bien endimanchés et sexys, ces deux là. Ils sont de sortie en ville.

Près d'un arrêt de tram, proche de l'université, encore dans le quartier de La Manouba, un terrain-vague, quelques ouvriers jettent des fondations d'une future maison, et un tag écrit à la hâte sur un mur blanc: "Zapatista Esperanza".


Une jeune femme en jogging à moitié tombant, nombril à l'air, habillé comme à la maison un jour de fortes chaleurs, sort de chez elle, tout à côté, lorsqu'elle me voit prendre de photos. Elle porte sur la tête un foulard avec des dorures, à la façon des vieilles gitanes. Elle m'explique que c'est un "camarade" à elle qui a fait le tag, et me raconte mi en arabe, mi en français, quelque chose à propos d'un club de football et d'un groupement de supporters qui serait révolutionnaire, et qui peint les murs.

Il y a quelque chose de joliment aguicheur dans son regard sur moi. Depuis le pas de porte, une femme beaucoup plus âgée, mais habillée avec quasiment autant de nonchalance que sa fille, crie quelque chose, et semble l'engueuler. La jeune réplique, je regarde amusé le ping pong qui s'ensuit, les ouvriers s'arrêtent un peu, et regardent aussi, amusés.

Je m'éloigne de quelques mètres, pour ne pas faire partie de l'enjeu. Finalement, la jeune femme se range, et se rentre chez sa mère.

Que se sont dites, ces deux là? C'était un problème de nombrils, ou une controverse sur le Zapatisme?



Andrés Pérez
SanchoPanzaLab


Tunis, quartier de La Manouba
Printemps 2014


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cc - OJALÁ,Sancho Panza Lab / CAPE SanchoPanza/Perspectives 2013-2014

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