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Chroniques de la Destruction Européenne // La Loi de la Jongle
Une Ligne Maginot sociale
pour tenter d'échapper au chaos euro-orthodoxe
Andrés Pérez
París-Bruselas (SPZ) 31/03/2014

En public, lors des sommets, devant les caméras, le président François Hollande dénonce les "égoïsmes" et les "extrémismes" qui, dit-il, "mettent en danger les acquis communautaires". Dans les coulisses, lors de discrètes décisions et "notes d'information" qui font le jour au jour réel d'un État, l'Administration que lui même préside donne des preuves de ce qui pourrait être qualifié de "égoïsme". La France est en train de blinder sa frontière sociale au sein de l'UE. Avec un objectif: éviter que son modèle social, à la fois protecteur et flexible, finisse par encaisser l'explosion de la pauvreté en Europe et le chaos que l'euro-orthodoxie a causé dans l'emploi dans des pays comme l'Espagne.

C'est ce que montre un document interne de l'Administration du ministère français d'Affaires Sociales que Ojalá/SanchoPanzaLab a pu consulter. Dans une "Note d'Information", concrètement la DGCS/SD1C nº2013-265, émise le 28 juin 2013 après une année de présidence Hollande, la directrice de la cohésion sociale, chef qui administre les subsides attribués aux personnes en danger de pauvreté, explique aux fonctionnaires, avec tout détail, comment doivent ils faire pour refuser des aides aux "ressortissants européens" à ras de guichets. Et en le faisant de manière à éviter "d’attirer l’attention de la Commission européenne".

Concrètement, le subside que l'Administration veut barrer aux européens, en esquivant la législation communautaire, et en le faisant sans attirer les foudres de la Commission, est le Revenu de Solidarité Active (RSA), dernier filet de sécurité contre l'extrême pauvreté, et filet par ailleurs qui enregistré une véritable explosion (+24% de bénéficiaires depuis 2010). Et, concrètement, le type de citoyens européens que le Gouvernement français veut proscrire, ce sont les dénommés "travailleurs indépendants" résidant et exerçant en France.

L'instruction donné par le Gouvernement aux fonctionnaires se présente sous la forme de note de "diffusion urgente" pour "analyse juridique" de "l’accès au revenu de solidarité active (RSA) des ressortissants européens ayant la qualité de travailleurs indépendants, pour prévenir tout contentieux qui attirerait l’attention de la Commission européenne. Elle s'auto-qualifie explicitement en tant que "dossier sensible".

*Les principes et la réalité, pas le même truc

En principe, et en vertu de la législation communautaire, tout ressortissant d'un pays membre de l'UE, et tout extra-communautaire titulaire d'un permis de résidence longue durée, a le droit de se déplacer librement depuis son pays UE d'origine à un autre de destination. En principe, aussi, il a le droit de s'installer librement dans le pays élu --la France, par exemple-- et a le droit de rechercher un travail, ou démarrer une activité comme entrepreneur ou comme "travailleur indépendant". Les critères de libre circulation et de libre installation dans l'UE sont tellement amples, que du fait de respecter certains standards (arrivée et installation, travail au bout de trois mois, résidence continuée...), en fait tout citoyen européen arrivé à un moment donné, peut aspirer, de plein droit, aux mêmes droits sociaux dont jouissent les résidents depuis toujours.

Par conséquent --et également en principe-- si un "travailleur indépendant" installé en France se trouve à un moment donné dans une situation de vulnérabilité sociale, il a le droit de bénéficier exactement du même filet de protection sociale qui existe pour les français ou pour les résidents légaux de longue date. Il ne peut pas y avoir exception.

Et pourtant, l'ordre validé le 28 juin 2013 par la Directrice Général de la Cohésion Sociale, Sabine Fourcade, dicte clairement à un très large éventail de fonctionnaires et élus de toute la France des normes spécifiquement pensées pour les "ressortissants européens ayant la qualité de travailleurs indépendants", et applicables seulement à eux, mais pas aux nationaux. Normes destinées à aboutir "à un refus d'ouverture de droit au RSA" (concept qui est répété quatre fois explicitement sur cette forme). Et normes qui, signale la Directrice Générale, ont le but de "prévenir tout contentieux qui attirerait l’attention de la Commission européenne".


*"Dénier la qualité de travailleur"

Mais... Quel est donc le Saint-Graal miraculeux? La note explique que, pour refuser le RSA aux européens non français sans qu'il y ait de bisbille avec la Commission, les Administrations devront prendre un détour. Dans la notification de refus, elles devront s'abstenir de toute mention d'un niveau insuffisant de ressources du demandeur. Par contre --souligne maintes fois la note--, les fonctionnaires devront étudier attentivement les documents de l'entreprise ou l'auto-entreprise du demandeur, dans le but d'utiliser, comme motivation du refus du RSA, l'argument que le faible niveau d'activité signifie qu'elle n'avait jamais eu d'activité sérieuse et réelle en France.

Pour les citoyens européens, dit la Directrice Générale, "tout refus d’ouverture de droit au RSA doit se fonder en premier lieu sur une évaluation précise du niveau de l’activité (en temps consacré, en démarches accomplies, etc.), étayée au besoin par des documents internes à l’entreprise, permettant de conclure au caractère marginal et accessoire de ladite activité". Seulement après, l'Administration pourra "dénier ainsi au demandeur la qualité de travailleur au sens du droit européen", pas préalable au refus de RSA.

La finesse de la Directrice Générale est mémorable. Si bien refuser le RSA a un européen "travailleur indépendant" du fait de la faiblesse de ressources serait motif de litige avec la Commission, il suffit de préjuger du faible niveau d'activité de sa boîte. Ce qui permet ensuite de lui nier la condition de "travailleur indépendant". Ce qui, finalement, revient donc à le juger un vagabond fainéant qui migre d'un pays à un autre. Dans lequel cas, comme il n'est plus considéré un "travailleur", kaput le droit social européen, kaput la Charte de Droits Fondamentaux, et kaput le droit à la libre circulation et libre installation... C'est, en effet, un des effets pervers possibles de la manière dont a été définie la libre circulation des travailleurs dans la directive de 2004. Salauds de pauvres !.

* Travailleurs indépendants UE, prejugés

L'artifice pensé par l'Administration Hollande prend la forme d'un cercle vicieux pervers destiné aux travailleurs pauvres des pays d'émigration comme l'Espagne. Car, avec le Droit Communautaire et Français sous le bras, si un travailleur indépendant espagnol (autónomo) s'installe en France, démarre son activité, et au bout de mettons un an souffre de problèmes économiques pour cause de crise, c'est de plein droit qu'il aurait le droit au RSA socle ou activité. Tout comme les citoyens français ou les extra communautaires titulaires d'un permis de séjour de longue durée délivré par la France.

Si le Gouvernement français définit une procédure spécifique de refus pour et que pour les Autónomos (espagnols, italiens, portugais, etc), demandant de fouiller pour trouver la "faible activité" et non pas les "faibles ressources"... Cela ressemble beaucoup à de la discrimination en base à un préjugé xénophobe, non?

Aucun texte, arrêté ministeriel ou "note" ne prévoit de telles fioritures pour application à un refus de RSA opposé à des 'travailleurs indépendants' bien français de souche (ou extra-européens avec permis long séjour bien de chez nous).

Cela colle mal avec les pimpantes déclarations de François Hollande sur la "réorientation de l'Europe" et sur "l'Europe Sociale" dont il serait le leader et le héros, combattant "les égoïsmes" et "les extrémismes".

A moins que Hollande, une fois de plus, ne se soit emmêlé les pinceaux: Embourbé dans la soi-disant négociation de la directive sur les "travailleurs détachés", son administration aurait fait une confusion entre ceux-ci et les "indépendants".

Ou, au pire, tout simplement François Hollande souhaiterait copier un mix de Berlin et de Londres, et s'orienter vers des politiques de pompe aspirante, avec droit au tri sélectif, des travailleurs pauvres étrangers.

Ce n'est pas pour rien que, lors du Conseil de Ministres franco-allemand du 19 février dernier, les deux Gouvernements ont affirmé solennellement que, désormais,
une de leurs priorités est "prévenir les fraudes, les abus et les contournements en matière d'accès aux prestations sociales".




Andrés Pérez
SanchoPanzaLab


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La Commission Européenne abonnée aux absents
* Tentative d'explication officielle de Paris
L'UE ne sait plus qu'est-ce qu'un "travailleur"
Il n'y a jamais eu de libre mouvement en UE
Cauchemardesques données sur les travailleurs pauvres
Le modèle français: flexible et protecteur
Xénophobie à la française? Pas si vite!
2005 et la défaite du modèle social européen
2014: vers la restauration du Travail Obligatoire?
Comment Hollande s'est fait merkel sur les pieds

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Déjà publiés:

Dans la série "Chroniques de la Destruction Européenne / La Loi de la Jongle":

Rajoy endurece las condiciones de salida de los parados, pero afirma favorecer la emigración
[en espagnol](novembre 2013)



Dans la production des étudiants de l'IHECS, en Atelier "Debating Europe" d'executive master in european journalism, dirigé par SPZ:

Even Barroso could soon be expelled from Brussels
[en inglés]
[en portugués] (fevrier 2014)

Dans des productions antérieures, archives de SPZ, probablement l'origine de la tendance UE actuelle:

Francia se salta las normas UE para repeler
a trabajadores africanos legalizados en España

[en espagnol] (marzo de 2011)

Et, lors d'un interview en 2008 avec SPZ, Stéphane Hessel pressentait ce qui venait, c'est pourquoi il a déclenché les contre-feux nécessaires:
"Necesitamos un proyecto humano, inteligente y simplemente lógico sobre inmgración"
[en español] (julio de 2008)

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cc - OJALÁ,Sancho Panza Lab / CAPE SanchoPanza/Perspectives 2013-2014

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